La liberté ne pourrait exister sans la contrainte.

La liberté ne pourrait exister sans la contrainte, et la contrainte ne serait rien sans l'attrait de la liberté.
[Pv Danger]

Pa-ta-pam, Pa-ta-pam, Pa-ta-pam… Des bruits de galopade feutrés résonnaient sur la terre sèche malgré les hautes herbes. Flap-Flap-Flap… Le frottement du cuir retentissait aux oreilles des chevaux et de leur cavalier. Ces derniers scrutaient la pleine dans l’espoir d’apercevoir des chevaux sauvages. Quelques soldats avaient en effet dit avoir vu un magnifique troupeau dans les environs. Ainsi, une dizaine de montures avait été réquisitionnée pour emmener des cavaliers capturer de futures recrues équines. Les soldats avaient donc pour mission de capturer quelques spécimens.
Et c’est ainsi qu’un jeune étalon un peu bizarre s’était retrouvé tiré, attaché à des cordes, par les cavaliers et leurs chevaux au galop. L’étalon bai aux reflets dorés avait beau essayer de mordre ou de charger, il ne parvenait à se libérer. Et pourtant il avait poursuivi ses efforts encore et encore, infatigable, tout le long de la journée. Les hommes de l’armée regardaient cet animal avec admiration et pensaient tout bas ou tout haut : « Ah comme j’aimerais monter cet étalon. » ou encore : «Qu’il est rapide celui-là ! ». Mais certains au contraire, ceux qui avaient déjà testé la bête pensaient plutôt qu’un bon coup de fusil était la seule chose qui puisse régler l’affaire. Quoiqu’il en soit, admirateurs ou ennemis, Almaak les renvoyaient tous. Au corral, il en avait désarçonnés un certain nombre déjà, quitte à se faire mal. Cependant le colonel restait persuadé que le jeune cheval se laisserait bientôt dompter. Mais à chaque fois qu’il s’approchait, il ne voyait dans les yeux sombres de l’akhal-téké que de la haine et du défi. Et la douceur ou la cruauté ne faisait aucune différence pour la bête furieuse. Etait-ce si différent d’ici, les dunes du sud ? N’y avait-il là-bas que la cruauté ? Ou alors était-ce Almaak qui posait un véritable problème ? Si personne à la caserne n’aurait su le dire, l’animal n’en restait pas moins sauvage.
Le soir tombait quand le groupe s’arrêta pour la nuit. Ils étaient arrivés dans une immense plaine aux herbes hautes. C’était là qu’on avait aperçu un troupeau de chevaux sauvages récemment. Peut-être venait-il souvent ? Les chevaux éreintés s’arrêtèrent immédiatement à la demande des soldats et une fois dessellés et entravés, ils se mirent à brouter voracement. Almaak continua à se débattre pendant qu’on l’entravait lui aussi, aux antérieurs et aux postérieurs. Juste au cas où. Il n’y avait pas d’arbre au grand dam des hommes mais ils finirent par se convaincre que les entraves suffiraient en voyant Almaak tomber en essayant désespérément d’avancer. Mais la bête était déterminée et avançait encore et encore. Bientôt, alors que la lune était apparue dans le ciel nocturne et que les cavaliers fourbus s’endormaient, l’étalon doré était déjà en marge du groupe de chevaux. Ses chairs coupées par les cordes de ses entraves s’étaient mises à saigner. Mais l’équidé avait quand même réussi à défairer sa paire d’entrave postérieure. Quand à l’autre, elle résistait vaillamment aux assauts répétés d’Almaak. Ce dernier ne savait pas en effet que l’entrave restante était faite avec une chaîne de fer recouverte de tissu. Mais l’étalon était plus irritable encore du fait que seul cet objet insignifiant le retenait de s’échapper loin d’ici. D’autant plus que l’animal sentait l’odeur d’autres chevaux. Des chevaux sauvages, pas les pauvres chevaux domestiqués à qui il ne parlait même pas. Almaak sentait leur odeur, il voulait à nouveau se battre et galoper quand il en avait envie, comme lorsqu’il était dans sa région natale. Mais il savait qu’il avait fait un trajet infiniment long sur l’eau – bien qu’il ne comprit pas comment – et qu’il lui serait difficile de revenir. Enfin pour l’instant en tout cas, seule sa liberté l’intéressait. Malheureusement pour lui, les soldats avaient veillé à ce que l’entrave soit assez serrée pour qu’il ne puisse l’enlever. Alors Almaak, de frustration, lâcha un hennissement strident. Puis un autre. Cela ressemblait plus à un cri. Un cri de défi et de haine. Il tenta de se cabrer maladroitement. La nature sembla retenir son souffle. Les chevaux levèrent la tête. Almaak releva la tête, fier. Puis une odeur inconnue et pourtant reconnaissable entre toute lui chatouilla les narines. Un bruit de sabot retentit et l’étalon tourna la tête les oreilles plaquées contre son crâne. Il savait déjà ce qui s’approchait de lui : un rival. Mais en était-ce vraiment un ?

Un bel étalon pie apparut enfin, sortant de la nuit, aux yeux d’Almaak. Ce dernier découvrit ses dents, s’apprêtant à l’affrontement. Mais c’est à peine si le nouveau venu lui prêta attention. Il se dirigea directement vers les juments domestiques qui avaient cessées de brouter et papillonnaient des paupières devant l’étranger. Almaak trouvait ces juments stupides et idiotes, de plus elles avaient peur de lui. Il n’avait donc aucune raison de se mettre entre l’étalon et elles. Cependant, il aurait préféré que l’étranger vienne le voir avant. Après tout, n’était ce pas lui le meilleur ici ? Personne ne le défiait plus, on s’effaçait sur son passage. C’était lui le chef. Et ce n’était pas un inconnu qui changerait les choses. Almaak hennit de nouveau, et se cabra. Il fit un bond en avant mais ses entraves le retenaient toujours. Pendant ce temps, le pie trottait pompeusement. Cela avait le don d’énerver l’akhal-téké. Celui-ci secoua la tête, envoyant valser ses longs crins noirs. Puis il s’immobilisa pour observer une nouvelle fois l’inconnu. Ce dernier ronflait, et trottait en tenant sa queue haute, comme une bannière laissée au vent. Almaak marqua une hésitation. Ce cheval était de plus en plus étrange. D’abord, il fallait préciser que l’étalon bai n’avait jamais vu une robe semblable. Et puis pourquoi tournait-il autour des juments ? Même le père d’Almaak ne passait pas autant de temps à faire la cour sauf s’il y avait quelque chose à la clef. Puis le jeune étalon comprit qu’ici les choses étaient différentes. Il y avait de l’herbe à volonté, de l’eau partout, beaucoup d’autres animaux. Les chevaux pouvaient penser à d’autres choses que leur survie. C’était tellement étrange qu’Almaak en devenait méfiant. Peu importe. L’étalon bai ronfla et tendit sa belle encolure à l’horizontale. Puis il se cabra, battant des antérieurs autant qu’il le pouvait. Puis il avança d’un pas alerte vers l’inconnu et se planta devant lui. Ses farouches yeux noirs fixèrent l’étalon pie. Almaak demanda ensuite, soupçonneux :

« Qui es-tu ? »

Puis il aperçut les juments derrière le nouveau venu. Il fit mine de charger et elles s’écartèrent assez pour qu’Almaak ne se sente pas opressé. Chose faite, il observa plus attentivement son aversaire potentiel. Il n’était pas très grand, plutôt petit même, avec une robe pie alezane. Sous sa peau fine, on apercevait des muscles puissants et quelques cicatrices dues sûrement à quelques combats. Enfin sa tête vive et fière ne laissait aucun doute. Cet individu n’était pas domestique. Etait-ce un animal sauvage ? C’était presque sûr. Mais pourquoi était-il là ? Almaak recula de quelques pas et fouilla de la queue à l’idée de ne pouvoir enlever ses entraves de chaines. Ah ! Qu’il aurait aimé partir loin d’ici. Mais son heure n’était pas venue. Pas encore. Un jour cependant, il se vengerait de ce qu’ils lui avaient infligé. Et ce jour-là serait terrible pour tous.